LA RECHERCHE D’UN EQUILIBRE NECESSAIRE
La lutte contre la fraude et l’évasion fiscale constitue aujourd’hui un objectif fondamental pour les Etats et nombreux sont les dispositifs du droit fiscal français visant à empêcher, à tout le moins à limiter, les risques de dérives fiscales.
Cette lutte doit toutefois être poursuivie dans le respect de grands principes posés notamment par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (Egalité de tous devant la loi) et par le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (libre circulation des marchandises, des capitaux, des services et des personnes)
La difficulté réside alors dans la recherche de cet équilibre délicat entre, d’une part, le respect de ces libertés et, d’autre part, la nécessité de poser des contraintes fiscales afin de sauvegarder les intérêts légitimes des Etats.
Afin de lutter contre l’évasion fiscale, la France s’est dotée d’un ensemble de textes visant à assurer la retenues et le prélèvement à la source sur certains revenus ou profits de source française versés à des personnes fiscalement domiciliées hors de France.
La décision du Conseil d’Etat portée à notre étude concerne l’un de ces mécanismes, à savoir l’article 182 B du Code Général des impôts. Il en ressort concrètement que les sommes versées à des personnes n’ayant pas en France d’installation professionnelle permanente en rémunération d’une activité qu’elles réalisent en France dans l’exercice de leurs professions non commerciales donnent lieu à l’application d’une retenue à la source, sans prise en compte des charges exposées pour cette activité.
Ainsi, alors que le résident fiscal français est imposé sur son revenu net, toutes charges déduites, le non-résident se voit imposer sur son revenu brut, sans possibilité de déduire les charges supportées dans le cadre de son activité.
Il en résulte une inégalité de traitement entre le résident fiscal et le résident fiscal étranger.
UNE INEGALITE VALIDEE PAR LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL : LA NECESSITE DE GARANTIR LE MONTANT ET LE RECOUVREMENT DE L’IMPOT
Le Conseil constitutionnel a validé un tel mode de calcul, considérant que s’il entraîne une différence de traitement avec les résidents imposables sur leur seul bénéfice, il n’entraîne cependant pas une rupture d’égalité devant la loi car cette différence de traitement est fondée sur un critère objectif et rationnel, celui de garantir le montant et le recouvrement de l’impôt (Cons. const. 24-5-2019 no 2019-784)
UNE ATTEINTE TROP GRANDE A LA LIBRE PRESTATION DES SERVICES POUR LE CONSEIL D’ETAT
Le Conseil d’Etat ne l’entend toutefois pas ainsi et juge ce mode de calcul non conforme aux articles 56 et 57 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. L’impossibilité pour le débiteur de la retenue à la source de déduire les frais professionnels directement liés à l’activité déployée en France exposés par le bénéficiaire non-résident des revenus est contraire à la libre prestation de services.
Cette décision, lourde de sens, pourrait avoir des incidences importantes pour les non-résidents et n’est pas sans rappeler les dispositions existantes d’ores et déjà pour les non-résidents fiscaux français dit « Schumacker », lesquels peuvent, dès lors que leurs revenus de source française sont supérieurs ou égaux à 75% de leurs revenus mondiaux, être dispensés du prélèvement à la source et déduire les charges afférentes à leurs revenus de la même manière qu’un résident fiscal français.
Il convient désormais de voir si cette décision du Conseil d’Etat aura pour incidence une refonte de l’article 182 B du Code Général des impôts.
Johann OLLIVE et Gaétan Di Martino
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